Des robots un peu futés

Et si on parlait de ce film… Chappie !

Donc pour ceux qui ont raté le coche récemment à l’occasion de sa sortie, voici une jolie affiche :

CHAPPIE - Affiche Ciné

Et là un joli trailer :

On pourrait résumer grossièrement l’histoire de Chappie en disant que ça traite de la naissance de la première intelligence artificielle autonome et de la naissance de la cybernétisation. Ceci sous couvert d’un monde exacerbant les conflits sociaux que nous connaissons.

Mais au-delà de l’aspect appréciable par lequel est attaqué la position des bons et des mauvais (au-revoir manichéisme dans un monde aseptisé !), ce sont les questions et les valeurs que véhiculent ce film qui m’ont particulièrement interpellé. Je ne sais pas si ces questionnements étaient de la volonté du réalisateur ou un effet boule de neige engendré par le déroulement de l’histoire, cependant je note plusieurs points qui, si on y regarde de plus près, pourraient faire naitre des débats passionnants.

Attention, SPOIL !

Donc… « 22 » (vl’a les flics ! Désolé elle était facile… hey partez pas faut que je m’échauffe quand même!) Au début, notre futur héro n’est qu’un numéro. Un des nombreux robots policiers permettant aux forces humaines de s’aventurer dans les zones de non-droits et de faire leur boulot face à des criminels sur-armés et qui ne se cachent plus. Ce robot n’a rien pour lui, policier de son état il semble systématiquement s’attirer les pires crasses en intervention. Une grenade ? C’est pour lui. Une roquette ? C’est pour lui. On note toutefois une grande fiabilité dans sa programmation consistant à protéger les humains tout en faisant son job.

Bon, quand même, après s’être pris une roquette, le p’tit gars est condamné, à moitié fondu, batterie et châssis solidarisés, son destin sera d’être recyclé avant même la fin de vie de sa batterie qui de toute façon ne lui laisserait que quelques jours. Les joies de l’industrie de masse où la valorisation du métal vaut plus qu’une conscience. Enfin, qui a parlé de conscience ? Ce robot n’est qu’un robot, une intelligence artificielle contrôlée par un programme prédéterminant ses actions et réactions. D’un point de vue d’humain il ne « vit » pas. On pourrait déjà rester des heures sur ce concept, à chercher à déterminer si quelque part cette machine n’est pas déjà un embryon de vie. Après tout, pour se mouvoir, intervenir, protéger, il doit avoir conscience de lui-même et de son environnement. Pure programmation ? Un programme peut-il être déjà une forme de vie bien que limité ?

Avouez que si le film s’arrêtait là on serait bien embêtés, mais on aurait déjà de quoi faire niveau arguments. Seulement ça ferait un peu cher en coûts de production et en places de ciné, un article scientifique dans la presse spécialisée aurait surement été moins onéreux.

Continuons, alors.

On passera donc d’un numéro à un nom car le créateur de ces robots ne rêve que d’une chose : libérer tout le potentiel possible de ces machines grâce à une intelligence artificielle « pure », entendre non limitée. Bref donner une conscience à la machine, lui permettre d’apprendre. Ce n’est qu’à ce moment là que l’on baptise la machine et quelle a un nom. Toutefois, ce petit génie informatique n’est pas fou, enfin pas trop. Il préfèrera tester son programme de conscience (hein ? un programme peut donc être « libre » et apprendre ? « être » la « conscience » ?) sur un robot dont l’autonomie ne sera de toute façon que de quelques jours plutôt que sur une unité bien portante et qui risquerait de lui échapper complètement.

Maaaaaiiiissss….. Sa hiérarchie le sent pas trop…….

« Tu comprends un robot qui pourrait questionner les ordres… dans la police… devant des criminels… et puis une mise à jour majeure…. sur un produit qui marche bien et qui n’a besoin de rien de plus pour se vendre… ce serait gâcher de futures opportunités commerciales non ? Enfin… tu comprends, on est fier de toi p’tit génie, mais sois pas trop un génie quand même… hein… allez… laisse faire les grandes personnes qui savent faire du profit. Allo l’atelier ? Vous me balancez 200 unités de plus ! »

Un vol et un enlèvement plus tard, v’la le p’tit génie au fin fond des quartiers chauds, pris en otage avec son « 22 » promis au rebut.

J’ai peut-être sauté une étape là… Bah oui parce que petit génie vol le robot pour faire son test en loosedé et il se fait enlevé par un gang qui a eu la bonne idée de capturer le p’tit génie qui a créé les robots, réputés inpiratables, pour en reprogrammer un pour leur usage personnel. Hey ! Comble de chance, à ce moment là, p’tit génie avait justement emprunté, pour une courte durée, malgré le manque d’autorisation préalable, la clé maitresse de tous les robots policiers, à son employeur super pas d’accord avec ses tests et trop occupé à vendre plus d’unités pour protéger la vie des bonnes gens et des policiers (vous sentez que ça va partir en sucette ?).

J’oubliais aussi, que la vie de bureau n’est pas rose, alors que p’tit génie développait ses supers robots, gros méchant (on l’attendait celui-là), a préféré développer un mécha’ piloté à distance par un esprit humain, sorte de super-évolution du drone à interface neurale directe. Ho… et aussi bien armé qu’un porte-avion, avec une multitude d’options très rigolotes comme le blindage, les caméras thermiques, mortiers, lance-roquettes, mitrailleuses, pince géante et décapsuleur… ha  non pour ce dernier faut un supplément (doit-on rappeler qu’on est en zone urbaine pour un usage de maintien de l’ordre public ?). Bref, petite guerre larvée entre l’informaticien tout frêle et le baroudeur militaire consultant frustré.

Enfin, revenons à notre robot et notre scientifique. Ce coup-ci il tombe sur des gens très biens… enfin qui lui foutent un flingue sur la tempe pour qu’il remette son « 22 » en état de marche. P’tit génie les prévient, leur dit que c’est p’têtre pas une bonne idée. Mais rien à faire ils sont têtus et puis finalement p’tit génie est pas si mécontent de tester sa conscience artificielle. C’est là que les choses sérieuses commencent.

Primo, « 22 » devient très rapidement « Chappie ». Il « vit », donc il « est » ? En tout cas il est capable d’assimiler et d’apprendre. Et voilà une conscience vierge prête à être forgée. Il est intéressant de voir que les personnages le considère comme « un enfant » qui va devoir se structurer. Mais un enfant avec une capacité à apprendre accélérée. Très vite également, deux gangsters se présentent comme étant son père et sa mère. Ils voient le robot non plus comme ce qu’il parait (un flic) mais comme ce qu’il est (une conscience neuve qui se lève). C’est là tout l’intérêt de ce film – à mon sens.

Pourquoi ?

Parce qu’à la suite de cela, toutes les scènes qui vont suivre seront une succession d’évènements dans lesquels Chappie apprendra quelque chose. Et cela est bien maitrisé : il ne connait pas de manière innée le bien et le mal. Il ne connait que ses « parents », son entourage, le milieu dans lequel il vit et dans lequel il « grandit ». Il se construit sur les valeurs qu’on lui transmet et avec le sens qu’on lui transmet, et pas un bouzin informe de bonne morale cul-cul qu’on aurait tous, comme ça, descendu d’on ne sait où.

Ainsi, Chappie vit dans la banlieue, au milieu des gangsters. Là où deux visions s’opposent sur son apprentissage : celle de p’tit génie qui a surement lu « comment être un bon père » et souhaite faire de l’éducation de Chappie quelque chose de structuré (« ho regarde la belle peluche qui fait *pouic* ! C’est trop mignon ! », « ho c’est quoi ça ? c’est une montre, répète, une montre ! » bla bla bla…) et l’éducation au sein du gang qui lui apporte le cadre « familial » mais dans un monde dans lequel les règles sont toutes autres que celles de la société classique ; où il doit lutter pour survivre, où la violence est omniprésente et où seule la fraternité et la solidarité aux êtres proches restent immuables. Le gang est tiraillé en deux camps également la « mère » souhaitant que Chappie acquière des valeurs, et le « père » qui ne garde en tête que son objectif d’utiliser le robot à des fins personnelles (braquages, vols, pouvoir).

Allons plus loin, un élément qui nous sort de la tête, nous est rappelé vers le milieu du film. Chappie a une durée de vie limitée. Son corps (son coeur ? -> sa batterie) s’arrêtera bientôt, et sans possibilité de le remplacer. De là, Chappie n’aura de cesse de tenter de trouver un moyen de cartographier sa conscience pour être en mesure de la transférer dans un autre robot afin de survivre.

Bien arrêtons nous deux secondes là-dessus. Nous avons donc une machine (un corps), dont la durée de vie est limitée (comme pour tout être vivant), animé par une intelligence artificielle autonome (une conscience), dont les choix ne sont plus pré-établis (émancipation et libre-arbitre), qui a conscience de lui-même, de son environnement et d’avoir une conscience (être réfléchit) et qui est animé du désir de vivre (instinct de survie).

Alors, Humain ou pas Humain ?

La faille de ce raisonnement pourrait résider dans le manque de sentiments. Je n’aborde pas ce point car il est assez soumis à interprétation du spectateur dans le film. Lorsque Chappie s’aperçoit qu’on lui ment, qui est à même de savoir s’il se sent trahit ? Cela est – je penses – suggéré. De plus il connait la valeur des engagements, de la parole donnée. Il a développé des principes.

On repensera ici à l’image de l’enfant initialement utilisée. Chappie se construit sur les modèles qu’il a, pas parce qu’il est intrinsèquement bon ou mauvais. Je vous laisse reporter ce raisonnement sur les « vrais » enfants.

On aborde lentement mais surement, tout au long de ce film, la question du transhumanisme.

Bon entre-temps c’est la merde, hein. Pendant que p’tit génie joue à la marionnette (oui, ce mot est important !), gros-méchant, lui, vole la clé maitresse, pirate l’ensemble des robots policiers inpiratables pour les désactiver et arrive à plonger toute une mégapole dans le chaos. Tout ça pour démontrer l’inefficacité des petits robots tous mignons et pouvoir mettre sur le devant de la scène son gros joujoux de zone de guerre (y voir un quelconque complexe d’infériorité serait… hum…. si, peut-être !).

C’est là que ça part en sucette, on rappelle tous les policiers humains, parce que, bon, c’est la merde les gens. Plus personne ne protège les rues, c’est le chaos, la guerre !

« Quoi ? Se reposer entièrement sur une technologie qui pourrait nous échapper ou tomber en rade est dangereux ? Mais non, mais non… continuez à vous vendre au grand Internet et dormez en paix citoyens… »

Un gangster a déclaré que la ville était à lui. Hop, tous les flics, y compris les réservistes, au boulot, faut me nettoyer tout ça ! Et, au fait, si on pouvait enfin envoyer le gros joujoux freudien kärcheriser les cités ce serait cool ! (Ho non, faut pas dire ça, monsieur ! Ça pourrait être mal interprété !).

Je vous épargne les détails et je vous libère bientôt de cette lecture. Boom, boom, pan-pan, morts, boom. Gros joujoux explosé par robot intelligent ; parce que l’intelligence même artificielle peut surpasser l’esprit humain et la coquille vide désincarnée. « Maman » mourrut et p’tit génie blessé à mort. Sauf que… Chappie a trouvé son échappatoire. Il a réussit à faire l’image, la réplique de sa conscience, de « lui » en tant qu' »être »/ »entité ». Il fera donc de même avec son « créateur ». Et il le transfèrera dans un robot, une entité mécanique autonome à durée de vie limitée… bref, un corps. Mais… si plus tôt vous considériez Chappie comme n’étant pas humain, qu’en est-il de l’humain dont seule la conscience est transférée dans un robot ? Est-il moins ou plus humain pour autant ?

C’est dans les dernière images que résident les ultimes questionnements, lorsque l’empreinte de la conscience de la mère de Chappie est également transférée dans un robot. Mais, cette fois-ci, un robot à visage humain. Somme toute… un cyborg. Serait-il plus ou moins humain que le transfert précédent ? Plus ou moins humain que Chappie lui-même ?

Je vous laisse avec ces interrogations. Ce film m’a particulièrement plut car il ne les pose pas ouvertement. Il ne fait que suggérer des pistes et reste un film très accessible pour tous ceux qui ne souhaitent pas y voir quoi que soit d’autre qu’un film d’action bien rythmé. Mais je préfère prendre quelques minutes et analyser tout cela, même si la réponse est individuelle.

Votre avis m’intéresse !

Edit :

Quelques corrections d’orthographe plus tard, j’en profite pour troller un brin nos amis publicistes et critiques.

Tous les matins j’ai la joie, non contenue, de passer devant les superbes nouveaux écrans de publicités animées du métro parisien. Passons sur le gaspillage d’argent, de technologie et d’énergie. Ce qui me dérange le plus est le contenu qui y défile toutes les 10 à 30 secondes environ. Une « superbe » séquence défilant plusieurs scènes de 50 Shades of Grey en mode accéléré sur peut-être 5 à 10 secondes avec un énorme bandeau titrant : « LE FILM DE L’ANNEE ». Bien que ce bandeau reprenne la « critique » d’un quotidien gratuit, je ne peux m’empêcher de penser que… NON ! N’est pas pour moi le « film de l’année », une bouse infâme surfant sur la gloire d’un bouquin mal écrit, n’en étant que l’adaptation et n’ayant, a priori, aucun intérêt, sans parler des valeurs qu’il véhicule.

Je trouverais bien plus intéressant et vrai que l’on se penche sur un film comme Chappie, plutôt que de faire un immense battage médiatique pour le voyeurisme insipide.

Mais bon… peut-être sommes nous tous coincés sur Séléné ?

Précision supplémentaire : ne prenez pas le ton léger de cet article pour un sarcasme ou une raillerie du film, loin de moi cette idée. Le but étant de mettre en avant les questions ouvertes et les points que je considère importants. Je ne souhaitais pas non plus détailler par le menu l’ensemble des éléments scène par scène. Quant aux petits surnoms affectueux, mettez ça sur le compte de ma mémoire de poisson rouge pour les noms et la flemme d’avoir à rechercher les noms des protagonistes sur le net. Somme toute, j’estime que si vous vous spoilez le film en lisant ce retour, vous avez encore pas mal de choses à découvrir dedans. Alors allez-y ça vaut le coup !

« Allez, Bisous » (© Equipe Zeta)

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